Quand j’étais enfant et adolescente et que je me sentais heureuse, je dansais. Quand j’avais reçu un petit mot, glissé dans mon cahier, du garçon qui me plaisait et que j’en avais les yeux qui pétillent, je dansais.
Quand je me retrouvais seule et libre dans l’appartement,
je dansais. Lorsque que mon coeur battait, s’agitait, j’avais envie que mon corps suive ; que mes pieds battent sur le plancher, que mes hanches battent sur les côtés, que mes bras s’agitent dans l’espace.
Et puis un jour, mon corps a perdu le rythme, il s’est figé ;
je marchais les bras raides, les épaules hautes et le souffle à moitié coupé. J’avais perdu le sens de mon mouvement.
Dans les clubs, je regardais les autres filles et je ne savais plus comment, moi, je bougeais. Je ne savais plus comment m’asseoir, où mettre mes mains, que faire de ce corps que j’aimais de moins en moins.
C’est le moment où j’ai commencé mes études. Cinq brillantes années d’études. Ma tête se remplit pendant que j’ai l’impression que mon corps se momifie. Licence, diplôme, premier travail. Je suis une intellectuelle, c’est certain!
Mais la danse et le sentiment de liberté qu’elle me procure me manque. J’essaie alors de prendre des cours. Très vite je suis tétanisée par le regard de la danseuse professionnelle. Je réfléchis, réfléchis, comment va l’enchaînement, quel est le prochain mouvement, mon visage se crispe. Décidément ce n’était pas comme ça que j’aimais danser. Une année et demie et j’arrête, le regard de l’autre m’est insupportable, je dois réussir, maîtriser les tours et les diagonales, et plus je veux
y arriver, moins je peux.
Frustration. Je ne comprends pas, j’aime danser, pourquoi je ne peux pas? Plus de cours pendant deux ans. Je regarde les spectacles de danse au festival de La Cité et j’ai envie de pleurer.
Ma vie tourne autour du travail, je satisfais amplement mes employeurs, ma tête continue à se remplir, mais j’ai l’impression qu’il n’y a plus de corps pour la porter. Et un jour, tout s’effondre, je ne peux plus travailler, mon cerveau a explosé sur ce corps ratatiné.
Il y a quelques mois, je rencontre Malaïka, une de ses rencontres dont je sais que je me souviendrai toute la vie. Il y a quatre semaines, j’intègre deux de ses groupes de danse, mon corps répond de manière violente, j’en tremble, je rentre à la maison et je ne peux plus m’arrêter de danser. J’ai envie de battre à nouveau le plancher, d’élancer mes jambes et mes bras au ciel, de me délier.
Le dernier livre d’Elie Wiesel, grand défenseur des droits de l’homme, s’appelle
« Un besoin fou de danser » (éd. Le Seuil, 2006). Je viens de le commencer,
il ne parle pas de danse, mais dès les premières pages l’envie de danser y est associée au sentiment de liberté.
Danser c’est à présent pour moi me libérer, recommencer à respirer, gérer les exigences envahissantes.
Ce n’est plus devoir réussir mais c’est laisser glisser mes démons le long de mes membres pour essayer de les éjecter du bout des doigts. Et voilà, tiens, après trois semaines, j’arrive un peu mieux à tourner… Une chose est sûre, je ne crois pas que je m’arrêterai encore une fois de danser. O.L